Pour Marie-Ange
Marie-Ange, où trouver les mots pour te dire la tristesse qui m’étreint ? Je marche sur la route pour trouver ton visage à travers les frondaisons de l’hiver, pour saisir ton sourire au-delà des nuages et percevoir ta voix dans la rumeur de la mer.
Je cherche à me souvenir de notre première rencontre. C’était à Lyon, et nous étions Yves et moi avec Marie-Thérèse Peyrin, notre amie commune. Elle m’avait dit : « viens, je vais te présenter à ta compatriote ! Tu verras, c’est une femme d’exception. » En effet, femme d’exception, Marie-Ange, l’était ; tant par sa discrétion que par sa gentillesse ou par son érudition dont elle se gardait bien de faire mention. Car elle était chercheuse au CNRS, traductrice des textes anciens, spécialiste de la littérature des Pères de l’Église. Passionnée de la rhétorique du théologien Grégoire de Naziance, elle l’était aussi de poésie. Et sa poésie porte l’empreinte de son île. Elle s’inscrit dans les parfums de la Corse ; dans cette fierté sauvage et lumineuse, qu’elle et moi avions en partage.
Marie-Ange, tant d’images me reviennent en mémoire, de nos rencontres à Ajaccio, l’été. Je revois ta maman, je revois Yves, les deux Yves, le tien et le mien, en conversation autour d’Ougarit et de Lattaquié. Je nous revois dans les allées du lycée Laetitia Bonaparte ou dans les jardins du Lazaret Ollandini, parmi les livres et les amis réunis là pour assister aux rencontres de « Racines de ciel ». Je nous revois choisissant un restaurant de bord de mer pour déguster poissons et crustacés et trinquer à l’amitié et au plaisir de nos retrouvailles. Je te revois aussi déambulant avec lenteur parmi la foule pressée de Saint-Sulpice, prenant le temps de t’arrêter pour saluer tes amis/amies poètes. Jacques André, ton éditeur, et Dominique son épouse, n’étaient jamais loin. C’est vers eux que tu t’avançais, un sourire bienveillant flottant sur tes lèvres. Il me semble que la dernière fois que nous nous sommes retrouvées, c’était avec Sylvie Fabre G. et nous avions passé, cette fois-là, un moment délicieux dans le restaurant de la Chine, qui je crois, est désormais fermé. Il me semble que ce temps-là était un autre temps, lointain et idéal et je ne sais si nous retrouverons jamais cette insouciance et ce bonheur qui étaient les nôtres. Je me souviens de toi, de ta gentillesse et de ta douceur, de ton sens de l’autre et de ta modestie. Une modestie qui n’avait d’égale que ton érudition, car érudite tu l’étais. Mais il fallait t’interroger pour tenter d’approcher ce savoir lointain auquel tu t’es consacrée, ta vie durant.
Marie-Ange, tu as vécu la poésie comme une injonction à vivre et à saisir tous les instants. Tu as choisi une écriture qui va vers le moins-de-mots avec toujours plus de rythme, toujours plus de souffle. Et dans ce souffle-là, il y a comme une traînée de poudre légère mais volontaire qui court d’un poème à l’autre, comme un trait de révolte qui suit sa trajectoire assurée. Ta poésie Marie-Ange, est une poésie qui ébranle et dérange, qui décentre et qui oblige au déplacement celui qui croise tes textes. Une poésie de la traque, alors ? Oui, c’est cela, une poésie de la traque – dure et tendre à la fois - à laquelle il faut se laisser prendre pour en savourer toutes les traces !
Aujourd’hui, tu n’es plus et je pense à Yves, ton mari, qui t’a accompagnée jusqu’au bout dans cette traversée de lutte avec la maladie. Il t’a accompagnée, soignée, aimée. Désormais il est seul. Mais je sais que de là où tu es, tu le protèges et tu le veilles. Repose en paix Marie-Ange. Tu resteras notre amie, et nous t’aimons.
A.P, Canari, le 21 janvier 2022
Angèle PAOLI - Terres de Femmes